LA TRIBUNE

Composer avec l’absence :
quand le savoir s’unit à la mémoire

Melissa Rizkallah

12.11.25

Composer avec l’absence : quand le savoir s’unit à la mémoire © Yanis Kawakami

Le 21 mars 2023, ma maman gagne enfin le combat.
Elle choisit la délivrance et, dans ce geste, met fin à la maladie 
qui ronge son corps sans répit depuis huit ans.

Ce jour-là, je la regarde rendre son dernier souffle,
et emporter avec elle le souffle de mon anniversaire.
Dans ce qu’elle emporte, elle me rend aussi ce qui était là depuis toujours, 
mais que je n’avais jamais su voir.


Vue intérieure de l'édition © Yanis Kawakami

La perte. Le deuil. Comment composer avec l’absence. 
Souvent, je me suis demandé comment aborder ce sujet encore trop sensible,
et qui pourtant est une expérience 
que nous sommes tous destinés à traverser, 
tôt ou tard.

Le deuil est souvent synonyme de solitude ;
il est cette tempête qui vient troubler la sérénité de la mer.
Mais, dans les instants d’accalmie,
il dévoile ce qu’il a de plus précieux :
le tissage invisible qui nous relie à ceux que nous avons perdus. 


Détail de la couverture réalisée en impression 3D reprenant les règles de tracés utilisées en architecture

Un lien fort, solide, indélébile.
Partir à la recherche de l’empreinte qu’ils nous ont laissée,
c’est prendre conscience de l’héritage qu’ils nous ont transmis.



Vue intérieure de l'édition détaillant la notice de composition de l’édition

Ce livre est un tissage. Un entrelacs de savoir-faire,
de gestes appris, d’échos de voix croisées
et de silences partagés.

C’est un objet qui porte en lui les fragments de ce que
j’ai été, ce que je suis, et l’ombre douce de ce que
je rêve encore de devenir.

Au cœur de cette édition, la grille modulaire trace sa ligne discrète. 
Comme une ossature invisible et solide, 
elle soutient et structure. 
Compagne fidèle du graphiste comme de l’architecte, elle devient ici
le fil qui vous guide au fil des pages.

Manipulez, jouez avec les calques. Construisez, déconstruisez.
Cet objet, c’est aussi le vôtre. 
Chaque page vous tend la main et cache une confidence.



Vue intérieure de l'édition superposée aux travaux d’architecture de ma mère © Yanis Kawakami

Au-delà de sa forme et de sa fabrication, 
cet ouvrage dévoile ce qui, souvent, reste invisible :
les enjeux, les réflexions, les tâtonnements intérieurs 
qui jalonnent le chemin des créatifs.


Vue intérieure de l'édition, superposition de rhodoïds en cyan, magenta, jaune, noir qui additionnés ensemble forment le Rouge, Vert, Bleu © Yanis Kawakami

Mais c’est aussi un ouvrage intime.
Un objet de transmission, 
où le savoir s’unit à la mémoire.

Tout aussi invisible que la grille, un second fil tisse
cette édition : ma mère. 
Le plus grand amour de ma vie, et ma plus grande perte.



Vue intérieure de l'édition

Celle qui m’a initiée à tout ce qui touche
à la création. Celle qui m’a appris à avancer, toujours,
quoi qu’il arrive. À ne jamais s’arrêter à la surface,
mais à creuser, pour révéler ce qui nous structure,
ce qui nous définit tous, profondément.

Cette édition porte donc une double lecture.
Elle expose ce que signifie créer, mais elle révèle aussi l’expérience intime de composer 
avec l’absence. 

Dans chaque détail pensé, elle est là.
La composition de cette édition est une navigation entre savoir et mémoire, 
et dévoile l’empreinte indélébile que ma mère a laissé  sur moi.


Vue intérieure de l'édition

Ce nom que je porte, Rizkallah, est le sien.
Il est ce lien invisible et indéfectible qui traverse
les générations. Il raconte notre histoire :
celle de nos ancêtres, la sienne, la mienne,
et celle à venir. À lui seul, il est mon héritage,
ma fierté, ce fil tangible qui me rattache à elle
pour toujours.

C’est pour cela que cette édition porte son nom.
Parce que sans elle, je ne serais pas.
Pour tout ce qu’elle m’a donné, pour tout ce
qu’elle a traversé, des drames de la guerre civile
à l’exil, jusqu’à notre arrivée en France, son nom
demeure à mes côtés.

Et tant que je serai là, il brillera.

Merci maman. 



Montage de l'édition